Le « Butcher Cover » des Beatles : de la censure au mythe, histoire d’une pochette scandale

Le « Butcher Cover » des Beatles : de la censure au mythe, histoire d’une pochette scandale

En 1966, alors que les Beatles sont au sommet de leur gloire, une photographie dérangeante vient perturber leur image bien huilée de stars accessibles. Publiée sur la pochette d’un album destiné au marché américain, elle déclenche un tollé immédiat. Le visuel, surnommé depuis le « Butcher Cover« , montre les quatre musiciens vêtus de blouses de boucher, entourés de morceaux de viande crue et de poupées décapitées. Si l’histoire aurait pu s’arrêter à un simple scandale médiatique, elle est devenue l’un des plus grands mythes du collectionnisme vinyle. Voici le récit complet de cette énigmatique couverture.

Un contexte en pleine mutation : les Beatles de 1966

L’année 1966 marque un tournant majeur dans la carrière des Beatles. Après avoir conquis la planète avec des tubes pop comme « I Want to Hold Your Hand » ou « Help! », le groupe entame une transition vers une musique plus complexe, plus introspective. L’album Rubber Soul (1965) a déjà amorcé ce virage, et Revolver, en cours de production, s’apprête à bouleverser les codes de la musique populaire.

Sur le plan visuel, les Beatles aspirent aussi à plus de liberté. Ils sont las de l’image de « gentils garçons » que l’industrie leur impose. Ils veulent choquer, surprendre, briser les conventions. C’est dans ce contexte de libération créative que naît le projet de la célèbre photographie.

Une séance photo hors normes avec Robert Whitaker

Le photographe Robert Whitaker, alors proche du groupe, organise une série expérimentale baptisée A Somnambulant Adventure. Le concept est absurde, provocateur, presque surréaliste. Whitaker, influencé par le surréalisme de Dalí et le happening artistique, imagine des mises en scène inattendues. L’une d’elles devient historique : les Beatles en blouses blanches, jouant les chirurgiens psychopathes, souriants au milieu de carcasses de viande et de poupées démembrées.

Selon Whitaker, l’idée était de critiquer la manière dont les Beatles étaient « découpés en morceaux » et vendus au public comme des produits de consommation. Mais les interprétations divergent. Certains y voient une dénonciation de la guerre du Vietnam, d’autres un geste dadaïste, voire une simple blague potache d’un groupe sous l’influence du LSD.

Ce qui est sûr, c’est que la photographie n’a rien d’un visuel grand public. Et pourtant, elle est choisie pour illustrer la compilation américaine Yesterday and Today.

« Yesterday and Today » : une compilation sans cohérence

L’album en question n’est pas une production britannique classique : il s’agit d’un patchwork de morceaux extraits d’albums anglais (Help!, Rubber Soul, Revolver), destiné exclusivement au marché nord-américain. Capitol Records, qui gère les éditions US des Beatles, a pour habitude de remodeler les tracklists selon ses critères commerciaux, au grand dam des artistes.

Quand Capitol reçoit la photo de Whitaker, elle est pourtant validée. Les responsables voient là une occasion de proposer quelque chose de différent. Le visuel est imprimé à environ 750 000 exemplaires. L’album est prêt à envahir les rayons.

Scandale immédiat : le public dit non

À peine les disques livrés dans les magasins et aux radios, les protestations affluent. Les appels au boycott se multiplient. On parle de « pochette répugnante », de « blasphème », de « spectacle de mauvais goût ». Les conservateurs américains sont outrés. L’image d’enfants morts, même symbolique, heurte profondément l’opinion publique, à une époque où l’Amérique est secouée par la guerre du Vietnam et les tensions raciales.

Capitol panique. En quelques jours, l’entreprise prend une décision radicale : l’album est retiré, et une nouvelle pochette, neutre et sans controverse, est imprimée à la hâte. Elle montre les Beatles autour d’un grand coffre à bagages. Rien d’original, mais c’est plus sûr.

Le camouflage : l’art du « paste-over »

Pour éviter les pertes financières, Capitol ne détruit pas les albums déjà fabriqués. À la place, l’entreprise décide de coller la nouvelle photo par-dessus l’ancienne. Le procédé est simple, mais pas parfait. Sous certains angles ou à la lumière, l’image des bouchers reste visible en transparence. Cela donnera naissance à trois types d’exemplaires :

  • « First state » : la pochette d’origine, jamais recouverte (très rare, surtout sous blister).
  • « Second state » : la pochette recouverte par le visuel de remplacement.
  • « Third state » : des exemplaires « dépelliculés » à la main, pour retrouver la photo originale.

Très vite, ces variantes deviennent des objets de fascination. Certains fans décollent soigneusement la nouvelle couverture avec de la vapeur, du dissolvant ou des techniques artisanales, espérant dévoiler un trésor.

La pochette Butcher des Beatles en First State, 2nd State et 3rd State. Source Reddit

De la censure au mythe : naissance d’un Graal vinyle

Ce qui n’était qu’un échec marketing devient au fil du temps l’un des objets les plus recherchés de l’histoire du disque. Le Butcher Cover incarne à la fois l’audace artistique, la censure commerciale et la rareté matérielle. C’est un cas unique dans l’histoire de la pop : une image qui fut honnie, mais qui est aujourd’hui adulée.

Certains exemplaires en parfait état se sont vendus plus de 100 000 dollars aux enchères. Un « first state sealed », signé par Lennon, a atteint des records en 2019. Même les versions « second state » décollées proprement trouvent preneur à plusieurs milliers d’euros.

Les collectionneurs les plus obsessionnels traquent les moindres indices : codes d’impression, lignes de collage, traces d’adhésif. Le Butcher Cover n’est pas un simple disque, c’est un archétype de fétiche pop.

Les Beatles eux-mêmes : entre provocation et regrets

Le groupe, quant à lui, garde une relation ambiguë avec cette histoire. John Lennon et George Harrison assumeront avoir soutenu la photo, la trouvant drôle et subversive. Paul McCartney, plus diplomate, dira plus tard que ce n’était « peut-être pas une bonne idée », tout en saluant la force du cliché.

Robert Whitaker, de son côté, défendra toujours sa vision :

« Ce n’était pas une photo promotionnelle. C’était une œuvre d’art. Le problème, c’est qu’on l’a sortie de son contexte. »

L’histoire du Butcher Cover témoigne aussi des tensions croissantes entre les Beatles et l’industrie qui les entoure. Elle annonce la rupture à venir avec les tournées, la naissance d’Apple Corps, et leur volonté de maîtriser l’intégralité de leur image et de leur production.

Aujourd’hui encore, le Butcher Cover fascine. Il est évoqué dans les ouvrages spécialisés, les documentaires, les expositions. Il a été détourné par d’autres artistes (The Residents, Marilyn Manson, Nirvana) et symbolise une forme de rupture générationnelle : celle d’un monde en pleine mutation, où la jeunesse remet en question les tabous visuels, politiques et moraux.

Il incarne aussi une époque où la pochette de disque avait un pouvoir symbolique énorme, bien avant l’ère du streaming. Un simple visuel pouvait choquer une nation, faire retirer un album, changer la perception d’un groupe.

Si toutefois vous vous mettez en recherche de ce disque, méfiez-vous des contrefaçons, qui pullulent sur ce type de disques !

A propos du second state Butcher Cover

Un « second state Butcher Cover » est une pochette de l’album Yesterday and Today des Beatles qui contient encore la photo originale scandaleuse (le “Butcher Cover”) sous la pochette de remplacement, mais n’a pas été décollée. Elle est donc « recouverte », mais l’image initiale est encore intacte en dessous, ce qui en fait un objet de collection très recherché.

Voici comment reconnaître un second state de manière sûre et précise :

Reconnaître un second state Butcher Cover : les signes à observer

1. Exemplaire d’époque américain (Capitol Records)

  • Tous les Butcher Covers authentiques proviennent de l’édition américaine de 1966, publiée par Capitol Records.
  • Le numéro de catalogue est T 2553 (mono) ou ST 2553 (stereo).

2. La photo de remplacement (« trunk cover ») est collée sur un support rigide

  • La pochette visible montre les Beatles posant autour d’un coffre (très sobre).
  • Mais la couche inférieure, non visible à l’œil nu, contient la célèbre image des bouchers.

3. Inspection à la lumière rasante

Le col de Ringo se trouve caché ici, visible en transparence ! Source Rootsvinylguide

Sous une lumière forte et rasante (lampe de bureau ou soleil oblique), certains détails de la pochette originale peuvent transparaître :

  • La tête de Ringo est l’indice principal :
    • Sur un second state, tu peux souvent distinguer le col noir de sa veste juste sous le menton de Paul McCartney (sur la nouvelle photo).
    • Parfois aussi une légère surépaisseur au niveau des têtes ou de la viande.

4. Signe distinctif : le « Ringo V-neck test »

Sur de nombreux exemplaires, la forme du col en V noir de Ringo (photo originale) est visible par transparence juste à droite du coffre (sur la nouvelle pochette).

C’est le test le plus fiable pour identifier un second state sans le décoller.

5. Inspecter les rebords de collage

En regardant très attentivement les bords :

  • Certains second states montrent un léger décollement des coins (la colle n’était pas parfaite).
  • On peut parfois insérer un papier très fin entre les deux couches.

Astuces complémentaires pour confirmer un second state

MéthodeCe qu’il faut chercher
Lampe rasanteCol noir de Ringo, traits de visage flous en transparence
Loupe / macro photoLignes parasites, petites différences d’épaisseur
Référence du pressageST/T 2553, presse d’époque uniquement
Expertise proCertains disquaires ou sociétés de grading (Goldmine, Perry Cox…) peuvent confirmer l’authenticité

Valeur estimée (selon état, version mono ou stéréo, provenance) : de 1000 € à plus de 10 000 €.

Wax

Créateur de Vinyle Actu en 2010, passionné de disques vinyles et de metal en général. Vinyle Actu recherche en permanence de nouveaux rédacteurs : si tu te sens la plume acérée et que celà t'intéresse, merci de me contacter.

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