Dans le premier épisode, je montrais à quel point la NWOBHM naît d’un pays en crise, coincé entre un heavy 70s à bout de souffle et un punk qui a redistribué les cartes. Mais pour qu’un mouvement existe vraiment, il lui faut plus que des groupes et des riffs : il lui faut des lieux, des relais et un format de diffusion.

Entre 1978 et 1981, tout se met en place presque en même temps : un club londonien transformé en temple du heavy, une émission de radio nationale qui ose programmer des groupes inconnus, des fanzines bricolés à la main, et surtout une arme absolue : le 45 tours auto-financé. C’est ce tissu-là qui va permettre à la NWOBHM de passer du statut de micro-scène locale à celui de véritable mouvement.

Le Bandwagon / Heavy Metal Soundhouse : une église pour metalleux

Au centre de ce réseau se trouve un endroit à l’allure très peu mythologique sur le papier : l’arrière-salle du pub Prince of Wales à Kingsbury, dans le nord de Londres. C’est là que le DJ Neal Kay installe, au milieu des années 70, un club dédié au rock lourd baptisé The Bandwagon Heavy Metal Soundhouse.

Le principe est tout simple : je passe des disques de heavy à fond, je balance aussi des démos et des cassettes de groupes inconnus, et je vois ce qui prend. Sauf qu’ici, le public ne se contente pas d’écouter. Il vote, il fait des demandes, il réclame tel ou tel titre, il pousse pour que son groupe préféré entre dans la rotation. À partir de là, Neal Kay met en place un “Heavy Metal Top 100” basé sur les morceaux les plus demandés au Soundhouse, où se mélangent des classiques (du Judas Priest, du Rainbow, du Motörhead…) et une nouvelle génération de groupes encore totalement underground.

Ce top 100, il ne le garde pas pour lui : il l’envoie au journal Sounds, l’un des rares magazines généralistes à s’intéresser encore sérieusement au heavy. Sounds commence à publier ces listes, donnant d’un coup une visibilité nationale à des groupes qui, la veille encore, ne dépassaient pas le rayon de leur ville.

Dans ce contexte, quand Iron Maiden débarque avec une démo enregistrée à Spaceward Studios, Kay la passe au Soundhouse… et les titres explosent au vote. Cette démo deviendra bientôt l’EP The Soundhouse Tapes, auto-pressé en 1979 sur le petit label Rock Hard, tiré à seulement quelques milliers d’exemplaires, et devenu depuis un totem pour collectionneurs.

Pour moi, le Soundhouse, c’est plus qu’un club : c’est un filtre et un accélérateur. Tu peux être un groupe sans label mais, si ton morceau tourne dans cette salle et remonte dans les charts publiés dans Sounds, tu bascules d’un coup dans une autre dimension. C’est exactement ce qui arrive à Iron Maiden, mais aussi à d’autres groupes qui commencent à comprendre qu’il suffit parfois d’un bon titre, bien placé, pour faire bouger les lignes.

Sounds, Geoff Barton et la naissance d’une “New Wave”

Côté presse, Sounds fait figure d’allié inattendu. Alors que d’autres magazines se passionnent surtout pour le punk puis la new wave, Sounds laisse une place croissante à cette nouvelle vague de groupes heavy. Le journaliste Geoff Barton chronique les concerts, les démos, les singles des jeunes formations qui gravent leurs 45 tours à la dure.

C’est dans ce contexte que, en mai 1979, Barton utilise pour la première fois l’expression “New Wave of British Heavy Metal” pour décrire une affiche réunissant notamment Iron Maiden, Samson et Angel Witch à Londres. L’idée vient de son rédacteur en chef Alan Lewis, qui cherche une façon d’englober cette génération de groupes britanniques lourds, rapides et fauchés. (cf épisode 1)

À partir de là, la boucle avec le Soundhouse est bouclée : les charts de Neal Kay nourrissent les articles de Sounds, qui donnent à leur tour envie à d’autres gamins de monter des groupes et d’enregistrer leurs propres démos pour les envoyer au club. Le mouvement devient auto-alimenté.

En 1980, la compilation Metal for Muthas, sortie chez EMI, rassemble plusieurs groupes phares de cette scène – Iron Maiden, Praying Mantis, Samson, Tygers of Pan Tang, entre autres – et entérine l’idée que la NWOBHM n’est plus seulement une mode de club, mais un vivier de talents dans lequel les majors commencent à piocher.

La radio : le Friday Rock Show comme caisse de résonance

L’autre pilier, c’est la radio. En 1978, la BBC lance sur Radio 1 une émission hebdomadaire dédiée au rock, animée par Tommy Vance : le Friday Rock Show. Dans un paysage très formaté, c’est presque une anomalie : une émission nationale qui accepte de diffuser des morceaux longs, des titres lourds, des groupes inconnus.

Très vite, le Friday Rock Show devient une fenêtre unique pour les groupes NWOBHM. Beaucoup sont invités à enregistrer des sessions dans les studios de Maida Vale, sessions qui seront diffusées à l’antenne et dont une partie sera plus tard compilée sur divers disques. On y retrouve des enregistrements de Angel Witch, Samson, Girlschool, Tygers of Pan Tang, Raven ou encore Praying Mantis, captés entre 1979 et 1982.

Ce qui me frappe, c’est à quel point la logique est la même que pour le Soundhouse : tu joues fort dans des clubs minuscules, tu presses un 45 tours avec tes économies, tu l’envoies à la BBC et, si Tommy Vance accroche, tu te retrouves tout à coup exposé à des centaines de milliers d’oreilles. Pour une scène née dans les pubs et les salles des fêtes, c’est un changement d’échelle brutal.

On sous-estime parfois la portée symbolique de cette émission. Quand un gamin de Newcastle, de Bristol ou de Cardiff entend un groupe ultra-local passer à la radio nationale, il comprend deux choses : d’abord, que sa musique peut exister au-delà de son quartier, ensuite que l’autoproduction et le 45 tours sont un chemin crédible vers cette exposition.

Fanzines, courrier des lecteurs et bricolage papier

À côté de la presse “officielle”, une nuée de fanzines se met à circuler au tournant des années 80. Ils sont tapés à la machine, photocopiés, agrafés de travers, mais ils ont une vertu immense : ils parlent des groupes que la presse généraliste ignore ou n’a pas encore repérés.

Le 1er numéro de Kerrang! de Juin 1981

On voit émerger au Royaume-Uni, dès le début des années 80, des titres comme Phoenix, Ego Trip ou Loud, aux côtés de fanzines internationaux comme Heavy Metal Times qui couvrent aussi bien les groupes britanniques que les scènes étrangères.

Ces fanzines ne font pas seulement des chroniques de disques : ils publient des adresses postales, des annonces de recherche de musiciens, des listes de traders de cassettes, des dates de concerts dans des coins où aucun grand magazine ne posera jamais les pieds. Quand tu es un petit groupe de province, c’est là que tu vas pour exister ailleurs que sur ta scène locale : tu envoies ta démo, ton 45 tours, une bio griffonnée. En retour, tu récupères des chroniques, parfois un début de réseau de fans, et des contacts pour des dates.

En 1981, un nouveau venu va encore amplifier ce mouvement : le magazine Kerrang! apparaît d’abord comme un supplément unique de Sounds, consacré justement à la NWOBHM et aux groupes heavy en plein essor, avant de devenir une publication à part entière. Pour moi, Kerrang! symbolise le moment où ce qui n’était qu’underground, fanzines et petites annonces, commence à se structurer comme un paysage médiatique heavy metal à part entière.

Neat Records et la galaxie des petits labels

Autour de ces 45 tours gravés parfois en autoproduction complète, une poignée de petits labels indépendants flairent très vite le potentiel de cette génération. Le cas le plus emblématique, c’est effectivement Neat Records, lancé à la fin des années 70 au-dessus du studio Impulse à Wallsend, dans le nord-est de l’Angleterre.

Neat commence par sortir quelques singles – dont le fameux “Don’t Touch Me There” des Tygers of Pan Tang – puis devient un véritable hub NWOBHM, publiant des EPs et des albums de groupes comme Venom, Raven, Blitzkrieg ou Jaguar. Ces sorties restent loin du mainstream, mais elles vont influencer massivement la génération thrash américaine qui débarque quelques années plus tard (Metallica en tête, Lars Ulrich étant lui-même très fan de la NWOBHM).

D’autres labels suivront, parfois plus tard dans la chronologie NWOBHM (comme Ebony Records au début des années 80), mais le schéma est souvent le même : un studio local qui se transforme en label, un catalogue construit autour de groupes régionaux, et une distribution qui repose autant sur les disquaires spécialisés que sur le mail-order et les stands de merch aux concerts.

Ce modèle, combiné à l’explosion du 45 tours, permet à des centaines de groupes de laisser une trace discographique, même brève. Beaucoup ne dépasseront jamais le stade du single ou du mini-LP, mais ils contribuent tous à cette impression d’effervescence permanente qui fait de la NWOBHM un moment unique dans l’histoire du metal.

Ce qui se dessine derrière ces clubs, ces radios, ces fanzines et ces 45 tours, c’est une véritable économie de la débrouille. Les groupes financent leurs enregistrements avec les cachets de concerts, vendent leurs singles en direct après les gigs, les déposent en dépôt-vente dans des disquaires indépendants, ou les glissent dans des enveloppes à destination de Neal Kay, de Tommy Vance ou de tel fanzine enthousiaste à l’autre bout du pays.

En retour, le public joue un rôle actif : il vote au Soundhouse, il écrit aux émissions de radio, il s’abonne à des fanzines, il commande par courrier des disques dont il n’a parfois entendu que le nom et une courte chronique. C’est un système circulaire, où chaque acteur – groupe, fan, DJ, fanzine, label – a besoin des autres pour exister.

À mes yeux, c’est ce maillage qui distingue vraiment la NWOBHM d’une simple “vague de nouveaux groupes”. Sans les soirées de Kingsbury, sans les listes publiées dans Sounds, sans les sessions du Friday Rock Show, sans les fanzines photocopiés et sans le 45 tours comme monnaie d’échange, beaucoup de ces groupes seraient restés des noms griffonnés au marqueur sur les murs de pubs.

Quand j’écoute aujourd’hui Denim & Leather de Saxon (même si ce titre ne sortira qu’en 1981), j’y entends une vraie chronique de cette époque. Le morceau se souvient de ces soirées où on se retrouvait en « jeans et cuir« , serrés dans des petites salles pour soutenir des groupes qui n’avaient que quelques 45 tours à vendre, une page dans un fanzine et parfois un passage radio pour exister. Saxon chante cette génération de fans qui lisait ses mags, écoutait religieusement les rares émissions metal, notait les noms des groupes et partait en chasse de leurs disques. C’est exactement cette économie de la débrouille, faite de clubs, de 7 pouces et de bouche-à-oreille, que j’essaie de décrire ici.

Aux portes de la première vague 1979–1981 : à suivre dans l’épisode 3

Avec cet épisode, on arrive pile au bord de ce que j’appelle la première vague visible de la NWOBHM : celle des années 1979–1981, où des groupes comme Iron Maiden, Def Leppard, Saxon, Angel Witch, Diamond Head ou Tygers of Pan Tang commencent à sortir des albums, à tourner plus largement, et à faire la une de magazines qui, jusque-là, les ignoraient.

Dans le prochain épisode, je rentrerai dans le dur de cette période :
comment ces premiers albums se positionnent, comment les groupes les plus en vue s’extraient (ou non) de l’underground, et comment cette explosion early 80s fait déjà naître des tensions entre ambitions commerciales et ancrage d’underground.

Wax.

Playlist : l’underground NWOBHM en train de s’organiser

Pour accompagner ce deuxième épisode, j’ai voulu rassembler des morceaux qui incarnent la naissance concrète de la NWOBHM : démos, 45 tours auto-financés, premiers singles, titres passés par le Soundhouse ou le Friday Rock Show. On n’est plus seulement dans le “terreau” sonore, on commence à entendre la vague elle-même.

Wax

Créateur de Vinyle Actu en 2010, passionné de disques vinyles, CD, et de metal en général. Curieux infatigable en ce qui concerne la musique. Je partage ma passion de la musique sur différents supports depuis plus de 15 ans :Youtube : https://www.youtube.com/@VinyleActu Sur ma chaîne Youtube Vinyle Actu, je parle de mes achats vinyle, et je présente ma collection au cours de sessions Live le vendredi soir lorsque je suis dispo. Au programme : vinyles et CD metal et Hard Rock principalement (mais pas que)Vinyle Actu : https://www.vinyle-actu.fr Le site sur lequel vous vous trouvez. J'y propose des articles de fond, des tests de matériel, la liste des disquaires de France, de l'actualité autour du vinyle, des sorties etc

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