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[Journal d’un mélomane / 2] Le Jazz et la Java

Par , le 07/02/2021 , mis à jour le 29/06/2021 — journal d'un melomane — 4 minutes de lecture

JOURNAL D’UN MELOMANE est une websérie en 9 épisodes écrite par Kostia Milhakiev, qui retrace son parcours de mélomane au fil du temps.

Les goûts et les découvertes sont souvent gouvernés par des rencontres accidentelles et je crois que la quête de tout hifiste est nourrie de ces rencontres. Mais qu’est ce que tu écoutes ? Mais quel est ce matériel ?

Georges était un fana de jazz et de blues comme je crois qu’il n’en existe plus. Il avait participé à un stage d’écoute chez Hughes Pannassié, le pape du jazz, animateur avec Charles Delaunay de la Revue du Jazz Hot Club de France. Ces deux-là allaient bientôt entretenir une querelle personnelle à propos du be-bop que Hughes Panassié citait comme exemple de l’anti-jazz. Il suffit de feuilleter son Dictionnaire (du Jazz) pour lire comment il règle son compte à Miles Davis, par exemple (d’occasion sur Amazon)

Georges, lui, se maintenait à l’école de Hughes Panassié, celle du jazz et du blues qui swinguent et racontent une histoire. Dig it and stay in the groove ! 

Où qu’il se déplaçât, Georges promenait avec lui un petit carnet avec la liste des disques rares qu’il recherchait, année d’édition, premiers labels et numéro de matrice compris. Je l’accompagnais chez tous les marchands à Paris, en province ; et même à New York à l’occasion d’un voyage de trois jours. 

Dans son salon, Georges écoutait ses disques sur un ampli SCOTT 440 A assez réputé pour l’époque. Sa platine THORENS était simplissime avec un bras d’origine, et une cellule SHURE. Faute de place au sol et craignant les circulations agitées de ses deux jeunes enfants, il avait placé des équerres en métal au-dessus des portes et posés des enceintes CABASSE SAMPAN LEGER sur celles-ci, au ras du plafond, orientées l’une vers l’autre, à chaque extrémité de la pièce !

John Lee Hooker, source Wikipedia

J’entendais pour la première fois les grands orchestres de la période Kansas City, les blues de John Lee Hooker, les riffs de guitare électrique de Elmore James dans Something inside me. Pour la première fois de ma vie, une musique me racontait une histoire, me faisait frissonner.

Après l’élection présidentielle de 1981 je fus invité par le producteur de films, Christian Fechner, à animer l’antenne de sa radio libre RADIO JET. Avec Georges, nous avons créé SAVON NOIR, l’Emission de Jazz Qui Nettoie Les Oreilles (j’étais le fier inventeur du titre et du slogan!). J’étais « Jules » le candide qui relançait « Tonton » le sachant, lequel présentait son programme en suivant un ordre alphabétique [NDLR : sympathique ce concept, je retiens].

La lettre G pouvant contenir à la fois le mot guitare et la déclinaison des guitaristes qu’il souhaitait présenter aux auditeurs, ou une notule sur Georges Gershwin. Faute d’animateurs et de rubriques suffisantes pour alimenter sept jours continus d’antenne, RADIO JET n’émettait que par intermittence. Je proposai de rediffuser notre émission deux ou trois fois par semaine à des horaires différents. Je reçus un non catégorique car « cela ne se faisait pas ». J’étais en avance de quelques années sur la rediffusion et les podcasts. Mais je garde les bandes et cassettes d’origine de nos enregistrements sur une étagère.

Georges conserva son set-up jusqu’à sa mort et sa collection de disques devint une des plus étendue et des plus rare. Celle-ci vient d’être dispersée disque par disque. Je regrette de n’avoir eu ni l’aplomb ni la fortune pour la racheter en entier à sa veuve.

Un numéro de la revue Le Haut Parleur (source)

Nous nous étions rencontrés à la fin des années 70. Je ne possédais toujours pas de chaîne hifi. J’ignorais que le matériel de reproduction sonore obéissait déjà à des caractéristiques techniques particulières. Chez Georges, les disques grattaient beaucoup et nous ne nous préoccupions pas du rendu de sa chaîne. La musique se suffisait à elle-même. La hifi destinée à un public d’amateurs n’en était qu’à ses balbutiements. La presse professionnelle était représentée essentiellement par la revue LE HAUT PARLEUR, bourrée de publicités pour des marques jusqu’alors peu connues — publicités qui allaient par la suite perturber l’acheteur de hifi que je voulais devenir…